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L’Europe à l’heure du directoire

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L’Europe vit des heures sombres. A la crise économique et financière s’est progressivement surajoutée une autre crise, latente et peut-être plus dangereuse encore : un krach institutionnel et démocratique, qui se déroule actuellement sous nos yeux. Au prétexte de la gravité – indéniable – du moment que nous traversons, une démocratie – la Grèce – qui est (en théorie?) un membre à part entière de l’Union Européenne est en train de passer sous contrôle extérieur, dans le mépris le plus complet de sa souveraineté et des difficultés que traverse sa population.

 

La situation est complexe et confuse, et l’écheveau des responsabilités difficile à démener. Mais il y a néanmoins quelques certitudes.

 

La première, que la politique menée par l’Union Européenne depuis le début de la crise est décalée et inadaptée. Les décisions nécessaires sont prises avec un retard calamiteux et sans l’intensité requise.

 

La deuxième, que ces remèdes dilués et sans cesse reportés, joints au dogme de la rigueur, ont contribué à enfoncer les pays qu’il fallait soutenir – la Grèce en est le parfait exemple. On a voulu lui faire appliquer 10 ans de réformes en 10 mois : le pays est aujourd’hui au bord de la rupture et incapable de fournir quelque effort supplémentaire que ce soit.

 

La troisième, que les fautifs ne sont pas toujours là où l’on croit. Qui a creusé la dette de la France, nous mettant à la merci des agences de notation, sinon Nicolas Sarkozy ? Qui a truqué les comptes de la Grèce, sinon la droite de ce pays, celle-là même qui aujourd’hui s’égosille contre Papandréou ?

 

La quatrième, que le moteur franco-allemand ne tourne pas rond.

 

On a souvent dit, à raison, que le couple franco-allemand a un rôle capital à jouer en Europe. C’est vrai – mais nous constatons chaque jour le fossé qu’il y a entre Mitterrand-Kohl et Merkel-Sarkozy. Le leadership franco-allemand actuel est hautain, brutal, inégalitaire dans la façon qu’il a de considérer certains membres de l’union comme des inférieurs, tout juste bons à appliquer des diktats venus d’en haut, et à voir leur gouvernement déstabilisé sans ménagement s’ils refusent. Enfin, n’en déplaise à notre orgueil national, il n’a de couple que le nom. Il y a d’un côté l’Allemagne sous la direction d’Angela Merkel, crispée sur ses intérêts, considérant l’Europe comme son marché, et de l’autre la France, condamnée à la suivre en haletant et en faisant mine de co-élaborer ce qui est en fait décidé à Berlin. Qu’a obtenu Nicolas Sarkozy, dans ses négociations, qui n’aille pas dans le sens de ce que veut Angela Merkel ? Rien. Le rejet des Euro-bonds, pourtant seule solution pour enrayer la spirale infernale des effondrements financiers et de la rigueur, est assez exemplaire de cette « co-gestion » à sens unique. L’Europe vit à l’heure de l’égoïsme merkelien et de la pression des marchés et des créanciers.

 

Et petit à petit se met en place une forme de gouvernance européenne renforcée … mais pas celle à laquelle aspirent les démocrates et les fédéralistes. Non, on parle ici d’une sorte de duopole (avec les réserves que je viens de soulever) sans autre légitimité que celle du plus fort, qui convoque les représentants élus des peuples, leur donne des directive, les humilie et les contraint à renier leur parole, au mépris de la cohésion et de l’intérêt de leur pays.

 

Un directoire germano-français méprisant, que résume assez bien cette conférence de presse où l’on voit Nicolas Sarkozy adresser – publiquement – un sourire de connivence à Angela Merkel quand la question de la solidité des finances publiques italiennes est posée. Un directoire dont les décisions ne sont pas indexées sur les mouvements sociaux et les aspirations des européens, mais sur le cours des bourses. Sans vision à long terme, et tout entier absorbé par l’urgence aveugle et le rythme endiablé qu’impose la finance. Les dégâts causés par cette politique laisseront de graves séquelles : notre histoire commune récente nous permet hélas de savoir quelles sont les conséquences de l’humiliation arrogante de peuples entiers. La négligence et le chauvinisme d’aujourd’hui préparent les conflits de demain, et ouvrent la boîte de Pandore du nationalisme.

 

L’Europe est désormais en danger de mort. Seul un sursaut démocratique rapide, avec une réaffirmation de la solidarité entre les peuples européens, éloignera ce spectre. La question d’un fédéralisme européen démocratique, et donc d’une constituante associant les citoyens de tous les pays et leurs représentants, est posée. Rien ne réussira non plus sans un ressaisissement rapide de la social-démocratie européenne, qui doit donner de la voix – d’une même voix – et opposer au couple Merkel-Sarkozy un plan d’action coordonné. Articulé, comme l’a justement dit François Hollande, autour d’une intervention directe de la BCE et de l’émission d’euro-obligations, dans une perspective de retour à la croissance et non plus de rigorisme budgétaire.

 

Julien Dray


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